12 febbraio 2010

Perché ci vuole orecchio

Le vent traînait des pailles sur le chemin, pailles arrachées aux litières par les minces brèches des portes, pailles volantes des abords de grange, pailles anciennes des meules oubliées au soleil. Le vent s'était levé matin. Il avait raclé la surface de la mer pour lui prendre le sucre blanc des embruns, il avait grimpé la falaise, faisant sonnailler les bruyères stridentes, il tournait autour de la maison, se taillant un sifflet du moindre recoin, soulevant, ça et là, une tuile plus agile, roulant des feuilles de l'automne passé, filigrane brunis ayant échappé à la succion du compost, tirant des ornières une draperie de poudre grise, écorchant de sa râpe la croûte sèche d'anciennes flaques. Un tourbillon se formait à l'orée du village. Des brindilles, des herbes folles se mirent à girer, sommet d'un cône incertain. La pointe se déplaçait capricieusement, comme la mine d'un crayon suit une courbe de niveau; il y avait près du haut mur gris une chose noire, spongieuse et plastique; la pointe s'en approcha dans un zigzag imprévu. C'était l'enveloppe vide et légère d'un chat noir, d'un chat sans substance, impalpable et sec. Le tourbillon le roula sur le chemin, efflanqué, disloqué, comme un journal roulé sur une plage, avec des grands gestes gauches; le vent tendait des fils aigus de bruit aux pointes des herbes hautes - le fantôme de chat quitta le sol dans un bond grotesque et retomba de guingois. Une saute de vent le plaqua contre une haie, puis le reprit, pantin désossé, pour la valse suivante. Le chat bondit soudain au-dessus du talus, car le chemin tournait; il coupa à travers champs; il courait parmi les pointes vertes des épis naissants, s'électrisant à leur contact, voltigeant de place en place, tel un corbeau ivre, et vide du vide parfait du végétal sec, comme la paille ancienne des meules oubliées au soleil.

(Boris Vian, L'arrache-cœur, parte II, cap. VII)

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